« Le prix est ce que vous payez, la valeur est ce que vous obtenez. » – Warren Buffet
Demandez à un Canadien quel est le prix d’une tasse de café chez Tim Hortons et vous obtiendrez, selon toutes probabilités, une réponse assez précise. À tout le moins, la plupart d’entre nous seront capables de faire une estimation approximative et, presque certainement, à peu près juste. Si l’on vous disait soudain que votre petit café « deux crèmes, deux sucres » coûte 25 $, vous en seriez horripilé parce que vous en connaissez très bien le prix normal.
Même les gens qui ne vont pas nécessairement tous les jours au café-restaurant connaissent bien la valeur d’une tasse de Java. Il est beaucoup plus difficile de savoir quelle est la valeur de Tim Hortons en tant qu’entreprise. Pour l’investisseur moyen, c’est là un gros problème. Il n’a généralement aucune idée de la valeur réelle des sociétés cotées en bourse, celles dans lesquelles il investit pour se bâtir un patrimoine.
Un instant, direz-vous. Vous connaissez mieux le marché boursier que nous voulons bien l’admettre, et vous savez d’ailleurs quel est le cours de l’action Tim Hortons. (En fait, vous savez également que Burger King, aussi appelée Restaurant Brands International Inc., a fait l’acquisition de cette société.)
Quoi qu’il en soit, en faisant une recherche rapide sur Google, vous trouverez le cours actuel de n’importe quelle société cotée en bourse. Ce renseignement est facile à trouver. C’est une chose que de connaître le cours de l’action d’une entreprise. Toutefois, établir avec un minimum de certitude la véritable valeur de l’entreprise en est une autre.
Pourquoi les cours boursiers ne sont-ils pas fixés de la même façon que le prix de ma tasse de café ?
Le prix d’une action (comme celui de n’importe quoi) est le montant convenu entre un acheteur et un vendeur. Pour les produits et services qui nous sont familiers, comme une automobile, une coupe de cheveux et un café, il est relativement facile de comprendre le rapport entre le prix et la valeur. Si les prix de ces produits et services triplaient, les gens seraient sans doute très nombreux à cesser de les acheter.
Ce n’est pas ce que font les investisseurs sur le marché des valeurs mobilières. Pourquoi les actions sont-elles aussi sinon plus susceptibles de trouver acheteur après que leur prix a triplé ? Ce qui complique les choses au sujet de l’achat et de la vente d’actions, c’est que les investisseurs n’ont généralement aucune expérience à titre de propriétaires d’entreprise. Ce sont des consommateurs de produits et services, et c’est à ce titre uniquement qu’ils connaissent les entreprises. Pour cette raison, il leur est particulièrement difficile de comprendre la différence entre le prix et la valeur d’une action. Ils finissent par faire une mauvaise lecture de faux indicateurs en interprétant, par exemple, la hausse rapide d’un cours boursier comme étant une occasion rêvée d’acheter un titre. Ces mêmes investisseurs seront très susceptibles de vendre en panique lorsque le cours de cette action dégringolera.
Un loup dans la bergerie
Pourquoi donc les actions sont-elles aussi, sinon plus, susceptibles de trouver acheteur après que leur prix a triplé ?
Pour empirer les choses, les investisseurs sont portés à croire que le marché est « efficient », en ce sens qu’il est censé refléter en tout temps toute l’information disponible au sujet des entreprises cotées en bourse. Ils croient que le prix d’une action reflète parfaitement les caractéristiques inhérentes au placement et que ce sont là des renseignements dont tous les investisseurs disposent équitablement.
Si tel était le cas, nous, à EdgePoint, serions au chômage. Qu’est-ce qu’un marché inefficient ? C’est un marché dans lequel il se produit des aberrations et dans lequel les entreprises sont mal comprises, ce qui fait dévier le cours des actions de la valeur réelle de l’entreprise. Dans un marché efficient, le comportement des investisseurs serait toujours logique. Toutefois, comme ces derniers sont humains, ils sont parfois irrationnels. Ils peuvent être trop optimistes (ou pessimistes), s’affoler (ou ne pas réagir lorsqu’il le faut) et choisir, par mimétisme, de suivre la foule plutôt que de réfléchir librement et de prendre des décisions éclairées relativement à la gestion de leur argent. C’est souvent ce qui arrive lorsqu’on est face à l’inconnu. Les gens ne savent pas comment réagir devant des difficultés inhabituelles. Ces comportements se voient aussi dans le domaine du placement.
Un jeu à somme nulle
Une autre différence entre l’achat de votre café du matin et l’achat d’actions tient au fait que, sur le marché, pour chaque gagnant, il y a un perdant. Cela ne s’applique pas à votre consommation de caféine. Dans presque toutes les opérations effectuées sur le marché, il y a échange d’argent entre investisseurs. Toute somme sortant du marché pour être versée dans la poche d’un investisseur a d’abord été investie sur le marché en provenance de la poche d’un autre investisseur. Le placement est un jeu à risque dans lequel soit vous faites une erreur, soit vous profitez de l’erreur d’un autre investisseur. En d’autres termes, si vous vous trompez, votre perte engendre un gain pour un autre investisseur.
Il existe toute une gamme d’erreurs dans le domaine du placement. Elles prennent toutes sortes de formes, comme ne pas faire ses recherches, ignorer des données importantes au sujet d’une entreprise, ou encore mal la connaître, mais elles peuvent aussi consister à mal interpréter l’information ou à laisser ses émotions dicter ses décisions de placement. L’une des erreurs les plus courantes consiste à laisser ses émotions influer sur ses placements, et il n’y a sans doute rien de plus difficile que de contrôler ses émotions, surtout en période de tourmente.
Suivre ses impulsions sans réfléchir
Examinons ce graphique à barres. Ce sont principalement les émotions qui expliquent pourquoi les investisseurs obtiennent constamment des résultats inférieurs à ceux que fournit toute autre catégorie de placement et pourquoi ils arrivent à peine à surpasser l’inflation.
Rendements annuaalisés sur 20 ans par catégorie d'actif
Les résultats que vous obtiendrez sur le marché dépendent en grande partie de votre capacité à maîtriser vos émotions. Malheureusement, c’est en ce domaine que les investisseurs échouent misérablement. Ils font de piètres thérapeutes pour eux-mêmes et ils se font avoir.
Il est possible, sans déployer beaucoup d’efforts, d’acquérir une participation dans une entreprise à prix d’aubaine d’un investisseur qui laisse ses peurs au sujet de l’avenir lui masquer les qualités de l’entreprise, surtout s’il ne connaît pas ces qualités. C’est pourquoi il y a généralement davantage d’occasions de placement attrayantes lorsque le marché est à la baisse. Il existe une panoplie d’occasions de bons placements lorsque les investisseurs sont pessimistes, car ils ne fondent leurs décisions que sur leurs émotions.
En période d’euphorie boursière, les investisseurs se heurtent à un problème semblable. Lorsqu’ils ne voient qu’un ciel bleu à l’horizon, leur enthousiasme entrave leur capacité à réfléchir avec lucidité aux qualités ou aux défauts des entreprises dans lesquelles ils investissent.
Quant au phénomène d’augmentation de l’attrait qu’exerce une action dont le cours a triplé, il résulte directement du fait que des investisseurs ont suivi leurs impulsions sans réfléchir. Les investisseurs se nuisent à eux-mêmes en obéissant à leurs émotions, positives ou négatives, plutôt qu’aux faits relatifs à l’entreprise elle-même. Cela provoque une forte surévaluation des actions auxquelles tout le monde s’intéresse et une sous-évaluation injustifiée des titres qui n’ont plus la vedette.
La bulle technologique de la fin des années 1990 en est un exemple. Des sociétés qui ne généraient aucun bénéfice et qui n’avaient presque aucune valeur réelle voyaient leur titre se vendre à des cours astronomiques. Au cours de cette période, les caractéristiques fondamentales de ces entreprises semblaient n’avoir aucune importance. Les investisseurs voulaient participer à la fête et rien d’autre ne comptait à leurs yeux.
Quelques années après la manne initiale, la réalité économique s’est imposée au marché. Les titres technologiques ont perdu 90 % de la valeur qu’ils avaient atteinte au plus fort du marché. Bon nombre de ces entreprises ont fait faillite et se sont vu attribuer une valeur inférieure à celle du papier sur lequel étaient imprimés leurs certificats d’actions.
Le placement est un jeu à risque dans lequel soit vous faites une erreur, soit vous profitez de l’erreur d’un autre investisseur.
Non seulement les investisseurs ont-ils tendance à se précipiter en masse pour acheter des actions dont ils ne savent rien au moment où le cours de ces dernières monte, mais ils sont également nombreux à vouloir les vendre lorsque leur cours dégringole. Ils agissent ainsi parce qu’il n’y a pas de sentiment plus désagréable que celui que l’on éprouve lorsqu’on observe le cours d’une action plonger et qu’on ne connaît pas sa valeur.
Vous ne savez pas ce que vous ne savez pas
Faire des opérations sur actions en fondant ses décisions sur des lubies, ce n’est pas investir, mais spéculer. Les spéculateurs qui ignorent les données fondamentales sur les sociétés poussent les cours à des extrêmes, alors que les vrais investisseurs se comportent comme des propriétaires d’entreprise et rendent le marché cohérent, de sorte qu’à long terme les cours boursiers reflètent la valeur sous-jacente des sociétés.
Connaître la valeur d’une entreprise exige, bien sûr, un vaste savoir-faire. Les investisseurs capables de maîtriser leurs émotions peuvent, néanmoins, ne pas avoir les outils essentiels pour évaluer correctement les actions. Une opinion largement répandue veut que les variations à court terme des cours boursiers reflètent dans une certaine mesure le progrès (ou l’absence de progrès) d’une société. N’est-ce pas là une interprétation hyperréductrice de la question?! Une fluctuation passagère du cours de l’action d’une société n’influe pas sur la part de marché de cette dernière, ni sur sa clientèle, ses marges, ses ventes, ses employés ou ses bénéfices. Le prix auquel les investisseurs acceptent d’acheter ou de vendre un titre à court terme ne révèle rien au sujet de l’entreprise.
Comme les titres d’une société peuvent parfois se négocier à la moitié de leur valeur, mais aussi, parfois, à deux, à cinq, à dix ou à vingt fois leur valeur réelle, le placement n’est pas une activité pour les petites natures ni les gens malavisés. Il faut avoir du temps et de la perspicacité pour réussir dans ce domaine. Une bonne compréhension des entreprises dans lesquelles vous avez une participation vous aidera à réfléchir logiquement.
Généralement, un processus efficace de diligence raisonnable préalable à un placement comprend la lecture des états financiers et d’autres documents, l’analyse des concurrents de l’entreprise, la rencontre des membres de la direction et la création de modèles financiers. Analyser correctement la qualité d’une société aux fins d’investissement peut prendre des semaines, des mois et même davantage. Il faut ensuite déterminer si le titre se négocie au-dessus ou en dessous de sa valeur intrinsèque, en espérant qu’il se négocie à un cours inférieur à sa valeur, que le marché finira par le constater et que vous pourrez ainsi réaliser un gain.
Voyez ce qui a échappé aux autres
Pour réaliser des rendements exceptionnels, vous devez cerner les particularités distinctives d’une certaine occasion. Cet angle unique sous lequel vous devez percevoir une entreprise pour obtenir un avantage par rapport aux autres investisseurs, nous l’appellerons ici votre point de vue exclusif. Si vous vous contentez de savoir ce que tout le monde sait déjà au sujet d’une société, vous êtes fichu, comme on dit. Le jugement de l’ensemble du marché se reflète déjà dans les cours boursiers. L’investisseur moyen a rarement ce point de vue exclusif. Il achète des titres d’Apple parce que ses téléphones sont populaires ou ceux de sociétés de services publics parce que ces dernières versent des dividendes. En fait, tout le monde connaît ses faits. Lorsque les investisseurs fondent leurs décisions de placement sur des lieux communs, ils obtiennent presque immanquablement une contre-performance.
Se donner un point de vue exclusif consiste à prévoir comment une entreprise évoluera et à reconnaître les cas où l’opinion des investisseurs diffère de la vôtre. Si vous estimez qu’une société prendra de l’expansion et constatez que le marché ne vous demande pas de payer pour cette perspective de croissance, vous devez vous demander pourquoi. Lorsque vous avez des raisons de croire que le marché a tort, vous avez sans doute un point de vue exclusif.
Un point de vue exclusif se bâtit généralement à la lumière de diverses analyses approfondies menées au fil du temps. Vous ne pouvez pas appliquer de filtre pour repérer les points de vue exclusifs, ni de formule pour développer votre capacité à les trouver. Un point de vue exclusif se développe de manière imprévisible, parfois inconsciemment. À EdgePoint, nous acquérons de tels points de vue en accumulant les faits et en les analysant. La plupart des renseignements que nous recueillons se révèlent inutiles, car ils ne nous permettent pas d’acquérir un point de vue exclusif; ils nous apprennent, tout au plus, ce que les autres savent déjà. Toutefois, en de rares occasions, nous pouvons faire des liens logiques vraiment importants, et cela nous donne un point de vue que peu de gens partagent.
Il n'y a pas de sentiment plus désagréable que celui que l'on éprouve lorsqu'on observe le cours d'uune action plonger et qu'on ne connait pas sa valeur.
Adoptez une approche à long terme
Supposons que vous ayez réussi à acquérir un point de vue exclusif au sujet d’une entreprise. Êtes-vous certain qu’il tient suffisamment la route pour générer des gains ? Étant donné que la correspondance entre la valeur du marché et celle de l’entreprise a tendance à s’accentuer au fil du temps et que la volatilité des cours est inévitable à court terme, votre thèse sera sans aucun doute mise à l’épreuve. Vous devrez être en mesure de faire fi des rumeurs quotidiennes (au sujet des préoccupations de nature macro-économique alimentées par les nouvelles et les autres investisseurs [y compris votre coiffeur]) et surveiller le cours du titre. Ce ne sera pas facile : vous devrez accepter de sembler vous être trompé à court terme pour avoir raison à long terme, car c’est le prix à payer pour avoir un point de vue singulier sur les perspectives d’une entreprise. Il peut être difficile d’imaginer que l’avenir sera différent du moment présent. Il est beaucoup plus facile de se laisser distraire par le battage médiatique courant et d’oublier la raison pour laquelle vous avez initialement décidé d’investir. Le doute de soi-même est un adversaire puissant, surtout lorsqu’il s’allie à une propension à croire que les tendances à court terme se maintiendront toujours. Malheureusement, l’expérience montre que les investisseurs sont, de fait, leur pire ennemi : ils sont beaucoup plus enclins à acheter lorsque les cours sont élevés et à vendre lorsqu’ils sont bas. Toutefois, la plupart du temps, plus le placement est conservé longtemps, plus il est susceptible de générer des gains.
Agissez comme un propriétaire
Le meilleur conseil en ce qui a trait à la comparaison entre le cours boursier et la valeur de l’entreprise est le suivant : vous devez traiter votre placement dans une société cotée en bourse comme si vous aviez acheté toute l’entreprise. Si vous n’y arrivez pas, demandez à quelqu’un d’autre de le faire à votre place. Agir comme un propriétaire d’entreprise apaise les craintes au sujet de l’économie ou du marché dans leur ensemble, et fournit la perspective globale nécessaire à la prise de décisions avisées. Il n’est certes pas facile d’acquérir les compétences nécessaires (nous nous y efforçons depuis le début de notre vie d’adulte et développons encore de nouvelles habiletés chaque jour) pour comprendre comment évaluer correctement une entreprise et adopter une attitude psychologique appropriée à l’égard des cours boursiers, mais ce sont là les seules véritables exigences nécessaires pour devenir un bon investisseur.
††Source : Bloomberg. Résultat par action annuel ajusté et cours de l'action en $ CA. La baisse du cours de l'action ne tient pas compte du réinvestissement des dividendes. Baisse de 34 % : 10/12/2007 – 20/11/2008; baisse de 20 % : 02/01/2009 – 22/05/2009; baisse de 12 % : 10/05/2011 – 08/08/2011; baisse de 22 % : 07/05/2012 – 04/12/2012. Cours de l’action au 12 décembre 2014. FactSet Research Systems Inc. : estimation du RPA pour le 4e trimestre 2014.
‡Source : Bloomberg LP. Du 17 novembre 2008 au 17 septembre 2011. Rendements totaux en GBP.
§Source : Bloomberg LP. Du 17 novembre 2008 au 31 mars 2015. Rendements totaux en GBP.