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Commentaire

Rendement lamentable des obligations d’État – 3e trimestre 2018

10 octobre 2018

Le 1er février 2018, pour la première fois de son histoire, l’indice de rendement total Bloomberg Barclays US Treasury (auparavant l’indice de rendement total Lehman Brothers US Treasury – un moment de silence, s’il-vous plaît) a affiché un rendement mobile sur trois ans négatifi. Plus précisément, si vous avez acheté des titres de cet indice trois ans auparavant, le solde de votre compte, avant ajustement pour tenir compte des frais, des impôts et du déclin du pouvoir d’achat de la monnaie dans laquelle a été libellé votre investissement, devrait être négatif pour la première fois depuis que certains banquiers de Lehman ont conçu l’idée de suivre un panier d’obligations d’ État des États‑Unis.

Rendement annualisé sur périodes mobiles de trois ans de l’indice de rendement total Lehman Brothers US Treasury

Du 31 janvier 1976 au 30 septembre 30 2018

Source : Bloomberg L.P. Rendement annualisé sur périodes mobiles de trois ans en dollars américains. Au 30 septembre 2018. L’indice mesure le rendement du montant nominal des titres de créances à revenu fixe libellés en dollars américains émis par le Trésor américain.

L’indice Bloomberg Barclays US Treasury a été conçu pour reproduire un très large panier d’obligations à taux fixe du Trésor américain, le placement le plus important calculé par pondération constituant 0,90 % de l’émission de l’obligation américaine à 2,875 % arrivant à échéance le 15 mai 2028ii. Diversifié par échéance et non par concept d’affaires, l’indice regroupe en faibles proportions toutes les obligations d’État des États-Unis, de l’obligation à 0,875 % arrivant à échéance le 15 septembre 2019 à l’obligation à 3,00 % échéant le 15 août 2048. Il ne fait aucun doute que cette participation dans les obligations à long terme – dont le prix est le plus sensible aux variations des taux d’intérêt – est à l’origine de la baisse de la valeur de l’indice.

L’enregistrement de rendements nominaux négatifs sur une période de placement de plusieurs années est un nouveau phénomène pour les investisseurs en obligations d’État, dont ils ne devraient pas se réjouir. La persistance des faibles taux d’intérêt et des faibles paiements d’intérêt obligataires qui les accompagnent signifie que les placements à revenu fixe vont plus que probablement générer un déficit dans le futur. Alors qu’une obligation de 100 $ rapportant 5 $ par année peut subir une perte de valeur de 15 $ au cours d’une période de détention de trois ans et pourtant revenir au seuil de rentabilité, le même titre dont l’intérêt annuel s’élève à seulement 2,50 $ a une capacité d’absorption de baisse de valeur d’à peine la moitié. Et c’est exactement ce qui explique le comportement de l’indice Bloomberg Barclays US Treasury indiqué plus haut. Les coupons des obligations à 10 ans et à 30 ans rapportant 2,0 % ou 2,5 % par année n’aideront pas beaucoup pour compenser la baisse des prix des instruments sous-jacents.

Rendements nominaux :

Rendement à l’abri des répercussions de l’inflation – qui réduit au fil du temps le pouvoir.

Une autre donnée jetant la consternation parmi les investisseurs en obligations d’État est fournie plus bas, à savoir le rendement négatif après inflation sur cinq ans offert par l’obligation du Trésor américain à 10 ans pour la première fois depuis au moins 1980iii. Un investisseur hypothétique qui a misé sur la « sécurité » d’une obligation à 10 ans du Trésor américain, bénéficié d’un rendement annuel de 1,7 % et empoché 1,08 $ US à la fin d’une période de placement de cinq ans aurait en théorie profité d’un rendement total positif en se privant d’un cheeseburger à 1,00 $ US en 2012. Seulement, le cheeseburger en question coûte désormais 1,09 $ USiv. Ce qui est encore plus fâcheux au sujet de ce résultat médiocre, c’est que notre investisseur ferait mieux de s’y habituer. Même si le déclin du rendement nominal constaté concernant l’indice Bloomberg Barclays ne perdurera pas, les investisseurs en obligations d’État doivent s’attendre à une période prolongée de rendements réels négatifs. Demeurés si faibles aussi longtemps, les rendements peinent, en effet, à surmonter le taux d’inflation actuel. Mais la cerise sur le gâteau pour notre investisseur hypothétique, qu’il nous reste à préciser, c’est qu’il devra payer un impôt sur le revenu gagné de 0,08 $ de même que quelques cents en frais de gestion. L’époque du revenu sans risque est bien terminée.

Rendement mobile après inflation sur cinq ans de l’obligation à 10 ans du Trésor américain

Du 31 janvier 1985 au 31 août 2018

Source : Bloomberg L.P. L’indice FTSE des plus récentes obligations de référence à 10 ans émises par le Trésor et l’IPC SA pour les consommateurs urbains aux États-Unis excluant les aliments et l’énergie ont servi au calcul des rendements corrigés de l’inflation de l’obligation à 10 ans du Trésor américain. Au 31 août 2018. Les données du 30 septembre 2018 sur l’IPC SA excluant les aliments et l’énergie pour les consommateurs urbains aux États-Unis ne sont pas disponibles pour l’instant.

La solution magique…?

Il est peu probable que rien de ce que nous avons dit jusqu’à maintenant n’étonne quiconque lit ce commentaire. Nous savons tous ce que sont devenues les insipides obligations d’État des marchés développés du point de vue de leur rendement absolu. Nous savons aussi qu’il n’existe aucune solution magique permettant de surmonter l’obstacle des faibles taux d’intérêt des placements à revenu fixe. Mais cela ne signifie pas que les investisseurs ne tenteront rien!

Dans le monde des placements, certaines modes naissent. Le cas échéant, on nous questionne à leur sujet. Et l’une des modes qui s’est véritablement répandue, et cela de manière fulgurante, tandis que les rendements des obligations d’État des marchés développés sombraient dans la médiocrité, a consisté à se tourner vers les titres de créance des marchés émergents. Les investisseurs potentiels d’EdgePoint s’informent souvent au sujet de notre capacité de recherche globale de rendements supérieurs des obligations d’États sur les marchés émergents. Souvent, ils nous évoquent ou nous citent un exemple témoignant de l’excellent rendement des placements dans les titres à revenu fixe sur ces marchés depuis trois ou quatre ans comparativement au Canada ou aux États-Unis. Notre réponse est toujours la même : nous ne pensons pas pouvoir ajouter beaucoup de valeur en investissant dans des titres de créances d’État, sans parler de ceux des marchés émergents.

Notre approche implique une étude minutieuse des perspectives et du potentiel de croissance d’une entreprise, de la qualité de son équipe de direction, des menaces pesant sur son modèle d’affaires, de sa douve de protection ou de son avantage concurrentiel ainsi que de sa rentabilité future, et consiste ensuite à nous assurer d’être rémunérés adéquatement compte tenu des risques liés à un placement. Nous pouvons définir ce processus comme étant notre évaluation de la « capacité de payer » d’une entreprise. Si notre analyse est correcte (et en l’absence de toute forme de fraude), nous dormons bien la nuit, car nous croyons les membres de l’équipe de direction de la société parfaitement « disposés à payer » par crainte du risque de ruiner les actionnaires et de perdre en même temps leur propre emploi.

Les placements dans les titres de créance d’État sur les marchés émergents nécessitent également une évaluation de la capacité et de la volonté de payer, bien qu’il s’agisse dans ce cas de celles d’un pays et non d’une entreprise. Or, selon nous, peu d’investisseurs possèdent réellement les compétences nécessaires pour évaluer l’une ou l’autre. Tant pour la capacité que pour la volonté de payer, une telle évaluation pourrait commencer par quelque chose ressemblant à un effort de compréhension de la mentalité de l’électorat, auquel nous ne pouvons contribuer en rien. C’est le gouvernement élu qui prend en définitive les décisions budgétaires, détermine la politique fiscale, réglemente les affaires et décide de la forme et de la taille des secteurs public et privé. Les politiciens déterminent si le remboursement de leur dette étrangère sert leurs intérêts. Revoyons quelques études de cas.

Don’t cry for me, Argentina

L’Argentine est un cas type intéressant sur plusieurs plans. Il s’agit d’un pays qui a trouvé le moyen d’être en état de cessation de paiement de sa dette pas moins de six fois au cours des 72 années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale : en 1951, en 1956, en 1982, en 1989, en 2001 et en 2014 – soit une fois tous les 12 ans en moyenne durant cette périodev. Ses différents gouvernements ont affiché peu d’intérêt dans une gouvernance du pays garantissant sa capacité de s’acquitter de ses obligations de paiement et peu de volonté aussi de le faire quand ils le pouvaient. Et pourtant, en juin 2017, l’Argentine a émis une obligation à 100 ans libellée en dollars américains. L’intérêt de 7,185 % est censé être payé annuellement jusqu’au remboursement du principal en 2117 (l’investisseur d’aujourd’hui pourra considérer le remboursement du principal comme « n’étant pas son problème »)vi.

Il reste que cette obligation à 100 ans a été offerte au prix supérieur de 105 $ US pour commencer l’année, pour retomber à 70 $ US à la fin d’août par suite d’un scandale de pots de vin qui prenait de l’ampleur, alors que la banque centrale relevait son taux à un jour à 60 % pour renforcer une devise dont la valeur avait chuté de 55 % depuis le début de l’année par rapport au dollar américainvii. C’est du déjà vu.

Obligation à 100 ans à 7,125 % de la République argentine

Du 31 décembre 2017 au 30 septembre 2018

Source : Bloomberg L.P. Au 30 septembre 2018. Prix en dollars américains

Une autre Turquie

En fait, même si l’on pouvait réussir à résoudre la question de la force et de la résistance de l’économie d’un pays et de la volonté de ses politiciens, la dépréciation de la monnaie et une diminution du taux de change peuvent aussi poser problème. L’Argentine n’a pas été la seule économie de marché émergente à profiter de la souplesse des marchés de la dette libellée en dollars américains au cours de la dernière décennie. En raison de la fluctuation des taux de change, les problèmes créés par la nécessité d’augmenter les impôts dans une monnaie qui se déprécie pour honorer ses obligations de remboursement d’une dette libellée en dollars américains, dont la valeur s’apprécie, commencent à se manifester. Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la dette libellée en dollars américains en pourcentage du produit intérieur brut pour un certain nombre d’émetteurs d’obligations des marchés émergents de 2008 à 2017.

Exposition des marchés émergents à l’appréciation du dollar américain

Crédit libellé en dollars américains consenti à des emprunteurs non bancaires en pourcentage du PIB

Source : Rangasamy, Krishen. "Hot Charts - Economics and Strategy". National Bank of Canada Financial Markets. August 14, 2018 (Vol. XIX, No. 71). Consulté le 24 septembre 2018 à l’adresse https://www.nbc.ca/content/dam/bnc/en/rates-and-analysis/economic-analysis/hot-charts-180814.pdf.

Comme celle de l’Argentine, la monnaie de la Turquie suit une spirale descendante. Le graphique ci-après donne le taux de change entre la livre turque et le dollar américain depuis le début de l’année. Au début de l’année, il en coûtait 3,80 livres pour rembourser chaque dollar de dette américain comparativement à plus de 6,05 livres à la fin de septembreviii. Selon le graphique ci-dessus, toutes choses étant égales, l’appréciation du dollar américain par rapport à la livre turque a entraîné une hausse de l’encours de la dette libellée en dollars américains, celle-ci passant de 23 % à plus de 38 % du PIB en seulement huit mois. Si nous n’avons aucune compétence pour prédire la capacité et la volonté d’un parti politique futur quelconque de rembourser sa dette, nous en avons encore moins pour prévoir l’évolution d’une monnaie.

Taux de change entre la livre turque et le dollar américain

Du 31 décembre 2017 au 30 septembre 2018

Source : Bloomberg L.P. Au 30 septembre 2018.

Notre solution

À notre avis, les obligations d’État dans leur ensemble sont des instruments de placement peu attrayants, et peu d’investisseurs possèdent les compétences requises pour ajouter énormément de valeur à ce marché. Les obligations d’État du Canada, des États-Unis et des autres économies développées se sont avérées une piètre solution de placement au cours des dernières années, et les perspectives à cet égard ne s’améliorent pas. Nous comprenons l’idée d’inclure des obligations d’État dans un portefeuille diversifié étant donné la situation qui a prévalu dans le passé, à savoir que leur rendement a augmenté au moment où la valeur des actions diminuait. Toutefois, cette relation pourrait ne pas être aussi solide dans un environnement où une hausse des taux d’intérêt pèse plus largement sur le prix des actifs. Tout de même, le manque d’attrait des obligations d’État de notre pays n’implique pas que nous devons tenter notre chance sur les marchés émergents en raison du rendement qu’ils pourraient offrir. Nous continuerons de nous efforcer de créer une valeur substantielle pour nos investisseurs en évaluant les entreprises et en profitant des perturbations de la relation entre le taux de rendement de leurs titres de créances et les risques qu’elles comportent. À cette fin, il nous faudra répondre à la question de la rentabilité future au lieu de conjecturer sur le prochain parti politique au pouvoir.


iSource : Bloomberg L.P. Rendement en dollars américains. Au 1er février 2018.
iiSource : Bloomberg L.P. Pondération de l’indice de rendement total Bloomberg Barclays US Treasury au 30 septembre 2018.
iiiSource : Bloomberg L.P. Au 30 septembre 2018.
ivSource : Bloomberg L.P. L’indice FTSE des plus récentes obligations de référence à 10 ans émises par le Trésor et l’IPC désaisonnalisé pour les consommateurs urbains aux États-Unis excluant les aliments et l’énergie ont servi au calcul des rendements annualisés et des valeurs en dollars.
vRogoff, Kenneth. Argentina is not solely to blame for its latest debt default. The Guardian (International edition), 1er août 2014. Consulté le 24 septembre 2018 à l’adresse https://www.theguardian.com/business/2014/aug/01/argentina-blame-debt-default.
viMander, Benedict et Wigglesworth, Robin. How did Argentina pull of a 100-year bond sale? Financial Times, 20 juin 2017. Consulté le 24 septembre 2018 à l’adresse https://www.ft.com/content/5ac33abc-551b-11e7-9fed-c19e2700005f.
viiSource : Bloomberg L.P. Au 30 septembre 2018.
viiiIbid.