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Les mythes de la diversification

Devenue technique courante de réduction des risques, selon Warren Buffett, « la diversification est une protection contre l’ignorance. Elle ne s’applique pas vraiment à ceux qui agissent en connaissance de cause. » Malheureusement pour les investisseurs, notre industrie (bien qu’elle déteste l’admettre) agit parfois à l’aveuglette. Cette technique cache aussi la crainte de mal paraître si on se trompe et que la diversification contribue à camoufler.

Ne vous y méprenez pas : nous sommes partisans de la diversification. Cependant, loin d’être une solution miracle, cette pratique surutilisée risque parfois de nuire plus que de contribuer à l’atteinte de vos objectifs de placement. Déboulonnons donc certains mythes de la diversification afin d’y voir plus clair.

Mythe no 1 : Il faut diversifier ses placements pour faire fructifier son argent. 

Selon la croyance populaire, il faut souscrire les actions de nombreuses sociétés dans divers secteurs pour « se diversifier ». En répartissant ainsi votre avoir parmi le plus vaste échantillonnage possible de sociétés émettrices, vous diminuez la probabilité d’une baisse généralisée de votre portefeuille qui serait imputable à une seule entreprise ou à un seul secteur (nous y reviendrons plus en détail au mythe no 2).

Par contre, vous vous positionnez ainsi pour réaliser des bénéfices quelque part, à un moment donné, comme le veut la croyance. Vous ne voulez pas exclure des secteurs potentiellement rentables. À défaut de savoir d’avance laquelle des options possibles sera la plus lucrative, mieux vaut toutes les essayer en espérant que l’une d’entre elles émerge.

Ce raisonnement trahit une profonde incertitude quant aux caractéristiques d’un bon placement. Par exemple, l’investisseur moyen peut établir avec certitude le prix d’une tasse de café, mais il aura beaucoup plus de difficulté à évaluer Tim Hortons en tant qu’entreprise. Même les prétendus professionnels du placement ne prennent pas le temps ou n’ont pas la patience d’étudier une idée d’investissement pour ensuite y adhérer à long terme. Les produits édulcorés qu’ils proposent trahissent leur manque de conviction. 

Les bons investisseurs comme Warren Buffett ne se diversifient pas à outrance puisqu’ils n’en ont pas besoin. Buffett préfère miser gros sur les entreprises qu’il connaît bien. Il se concentre sur ce qu’il comprend pour y investir sans crainte. Il comprend ses secteurs de spécialisation suffisamment pour souscrire massivement des titres lorsqu’il les juge sous-évalués. En surface, on pourrait croire qu’il prend beaucoup de risque en détenant un portefeuille relativement concentré par l’entremise de Berkshire Hathaway. Toutefois, ce risque est parfaitement justifié en regard de l’autre approche possible qui consiste à investir dans des entreprises qu’il ne connaît pas bien ou qu’il n’apprécie pas autant que ses principaux placements pour se protéger contre ses premiers choix. Cette stratégie est risquée.

Malgré le succès de Buffett, cette approche n’est pas largement répandue de nos jours puisque la majorité de l’industrie évite ce qu’on pourrait appeler le « risque de carrière ». Ce terme s’entend de la peur d’influencer négativement les ventes d’un produit ou, dans le pire des cas, de se faire renvoyer parce qu’un placement n’a pas procuré le rendement attendu. Les gestionnaires de placements ont tendance à diminuer les risques qu’auront leurs décisions sur leur sécurité financière. Ils savent qu’ils éviteront la critique et d’être mis sous la loupe en jouant de prudence. N’ayant tout simplement pas l’audace de sortir des sentiers battus, ils préfèrent se rabattre sur des solutions toutes faites plutôt que de risquer de se tromper et de perdre de l’argent, même pour une courte période. Ils choisissent plutôt de se diversifier au point de détenir un portefeuille comprenant une multitude d’actions et suivant l’indice repère, tant par sa composition que par son rendement.

De nombreux faits illustrent qu’il est préférable de détenir un nombre relativement restreint de titres, soit une trentaine, voire une quarantaine tout au plus. Les gestionnaires de placement qui concentrent leurs placements dans leurs meilleures idées ont dégagé de façon constante des rendements supérieurs à ceux de portefeuilles hautement diversifiés. De plus, ces portefeuilles de « meilleures idées » produisent généralement des rendements supérieurs sans entraîner de risques accrus.* La sécurité (et la réussite en placement) dépend en fait de choix de placement bien documentés. Plus vous en saurez sur une entreprise, plus vous serez avantagé sur les autres investisseurs. Vous pourrez plus facilement reconnaître les actions mal évaluées, ce qui vous permettra d’atteindre un rendement supérieur, tout en diminuant les risques. Une entreprise suffisamment diversifiée, tant par ses avoirs que ses activités, et dont vous avez acquis les actions à juste prix pourrait vous offrir toute la diversification dont vous avez besoin. Vos résultats dépendront beaucoup plus de l’ampleur de vos connaissances que de l’ampleur de vos avoirs.

Mythe no 2 : La diversification vous protège contre les pertes

La plupart des interprétations de la diversification sous-entendent un principe aberrant selon lequel l’acceptation des pertes fait partie intégrante de la stratégie. En décidant de posséder un peu de tout, vous acceptez inconditionnellement tout ce qui en découle, du meilleur au pire. Imaginez qu’un investisseur disperse son argent dans divers placements dont seulement la moitié est rentable alors que moitié l’autre génère peu de revenus, voire crée des déficits. Il en résulterait un taux de rendement faible ou moyen dans le meilleur des cas. Dans l’ensemble, cet investisseur ne semblerait pas avoir fait d’erreurs, puisque ses gains viendront égaliser ses pertes, mais il ne fera pas nécessairement de profit et ne sera pas en voie d’atteindre ses objectifs de placement à long terme.

De toute façon, la diversification qui nous est habituellement proposée fournit peu de protection. Évidemment, si les actions de l’une des 100 sociétés que vous possédez s’écroulent, vous n’en ressentirez que très peu les effets. Vous pourrez compter sur les 99 autres pour vous tenir la tête hors de l’eau. À l’opposé, si vous ne détenez les actions que d’une seule société et que cette dernière s’effondre, vous pourriez vous trouver en eaux troubles. Qu’arriverait-il si tout le marché s’effondrait comme en 2008 et que vous ne déteniez qu’un titre de grande qualité et 99 de qualité médiocre? Vous pourriez vous attendre à ce que la société de qualité supérieure récupère bien davantage que les 99 autres. La diversification s’avère illogique en ce sens que les investisseurs sont censés faire acte de prudence en constituant un grand panier d’actions pouvant contenir des sociétés exceptionnelles, mais aussi, inévitablement, des sociétés de second ordre. Est-il vraiment sûr de prendre position sur des placements de qualité moyenne ou inférieure à la moyenne?

À plus forte raison, si votre portefeuille diversifié n’arrive pas à absorber les chocs du marché? Selon un autre principe de la diversification, il faut répartir son portefeuille entre divers types de placement, comme les liquidités, les actions, les obligations et les biens immobiliers. Au cours de certaines périodes (comme en 2008) où aucun secteur ni aucune catégorie d’actifs ne sont à l’abri des ravages du marché, cette forme de diversification s’avère parfaitement inutile. Tout peut alors s’effondrer en même temps. La revalorisation de votre avoir dépendra alors probablement moins du secteur ou de la catégorie d’actifs que de la croissance potentielle de chacune des entreprises composant votre portefeuille. Que ce soit pour éviter des pertes ou pour réaliser des bénéfices, la qualité de vos placements devrait prévaloir sur leur nombre.

Mythe no 3 : La présence de plusieurs couleurs sur un diagramme circulaire témoigne de votre diversification.

Certains produits sont prétendument diversifiés puisqu’ils s’appuient sur divers placements, ce qu’illustre un diagramme circulaire en couleur. Cependant, ces placements peuvent en réalité se composer essentiellement d’actions partageant plusieurs facteurs fondamentaux.

Le problème tient en partie à la catégorisation parfois trompeuse des actifs qui ne rend pas toujours fidèlement compte de leur évolution. Les obligations sont notamment censées évoluer différemment des actions. En réalité, cette convention est trop simpliste puisque certains placements reconnus comme des obligations peuvent évoluer davantage comme des actions et vice-versa.

Cette catégorisation sous-entend aussi une constance des relations entre actifs, alors que leur évolution passée n’est aucunement garante de leur évolution à venir. Reprenons l’exemple des obligations. On suppose qu’elles maintiendront toujours une corrélation négative avec les actions alors que la force de cette corrélation peut varier significativement selon la période. 

Voici un autre exemple de mauvaise catégorisation : des entreprises reconnues comme faisant partie du même secteur peuvent par ailleurs s’avérer complètement différentes. Les divergences au sein d’un même secteur passent souvent inaperçues. Il est ainsi possible de détenir les titres de plusieurs sociétés entrant dans la catégorie du « secteur financier », mais n’ayant pourtant absolument aucune corrélation entre elles. Il pourrait s’agir de sociétés d’assurance, de banques, d’entreprises de courtage immobilier, etc. En d’autres termes, il suffit de fouiller un peu pour découvrir une gamme beaucoup plus diversifiée de possibilités de placement que ne le suggère le terme « secteur financier ». Ce constat est en fait valable pour tous les secteurs.

Selon nous, de toutes les tentatives de diversification, la répartition géographique s’avère la plus absurde. La position géographique d’une entreprise dépend uniquement de l’adresse de son siège social, ce qui n’a peut-être rien à voir avec l’emplacement de ses activités. Une entreprise établie au Canada peut présenter ses résultats en dollars américains, être inscrite à la Bourse de New York et exécuter 98 % de ses activités à l’extérieur du pays. Une telle entreprise ne serait, somme toute, pas très canadienne. Quoi qu’il en soit, si une entreprise est établie au Canada, aux États-Unis ou en Italie, quelle importance cela a-t-il vraiment? Les investisseurs devraient-ils seulement en tenir compte? Bien sûr que non. Cette information parfaitement inutile ne devrait aucunement influer sur vos décisions de placement ni sur le choix de votre stratégie de réduction des risques.

Le nombre de titres n’est pas à lui seul gage de diversification, pas plus que la répartition sectorielle ou géographique. « Plus » ne signifie pas nécessairement « mieux ». Sans vous y attendre, en procédant à une diversification à outrance, vous risquez de compliquer votre vie financière et d’assumer des frais de transactions élevés, des risques accrus et des conséquences fiscales désavantageuses, en plus d’altérer votre portefeuille de placement qui ne prendra ainsi jamais de valeur. Qui pourrait avoir de tels objectifs?

Évitez le piège de la diversification

La surabondance de titres n’est pas synonyme de diversification efficace. Contrairement à la croyance populaire, vous auriez tort de croire que la diversification rend votre portefeuille infaillible. Vous ne pourrez devenir un investisseur aguerri sans une solide formation financière qui vous permettra de choisir judicieusement vos placements et de vous concentrer uniquement sur ceux qui vous seront bénéfiques. Vous serez alors suffisamment averti pour savoir que les formes les plus communes de diversification sont mises en pratique par une industrie libre-service (la nôtre) tout à fait indifférente à votre prospérité. Tenez-vous informé. Ainsi, la prochaine fois que quelqu’un vous lancera ce mot fétiche de « diversification », vous saurez à quoi vous en tenir.




*Randolph B. Cohen, Christopher Polk et Bernhard Silli, Best Ideas, MIT, London School of Economics, Goldman Sachs, 1er mai 2010.