Skip to main content
Retour à Commentaire
Commentaire

Porté par des géants – 1er trimestre 2019

By Ted Chisholm, portfolio manager
02 avril 2019

« Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. Il est temps de comprendre davantage pour avoir moins peur. »

- Marie Curie

« Si j’ai vu plus loin que d’autres, c’est parce que je me suis hissé sur les épaules de géants. »

- Isaac Newton

L’été dernier, mes enfants et moi avons pris des vacances familiales en Europe. Pendant notre voyage, nous avons séjourné entre autres à Dingle (en Irlande), ville natale de ma grand-mère paternelle, qui s’appelle Maura Murphy. Dingle est une ville magnifique située sur le bord de l’océan Atlantique dans le sud-ouest de l’Irlande. Elle est devenue une destination vacances autant pour les familles irlandaises que pour les voyageurs internationaux. Nous avons pris plaisir à parcourir à pied cette ville aux bâtiments peints en couleurs vives, à écouter de la musique irlandaise traditionnelle et à manger des fruits de mer délicieux.

Je connaissais déjà en partie le contexte dans lequel avait grandi ma grand-mère et j’avais fait des recherches sur l’histoire de Dingle. Je me rendais notamment dans cette ville pour aider mes enfants à se rendre compte que la situation heureuse dans laquelle ils étaient nés tenait pour une large part aux choix courageux faits par une femme très forte qui avait quitté sa famille pour entamer la quête d’une vie meilleure. Je n’imaginais pas que ma présence là-bas avec mes enfants susciterait en moi une émotion aussi profonde et une véritable compréhension du temps et de l’espace.

Plus jeune, j’étais allé à Dingle pour rencontrer la très grande famille élargie de mon père, un voyage qui m’avait réellement ravi. Mais c’est seulement en gagnant en sagesse avec l’âge que j’ai réellement pu comprendre le peu que mon père avait pu me raconter sur ma grand-mère (il avait 10 ans quand elle est morte), l’expérience de ma visite précédente à Dingle et tout ce que j’avais appris sur l’existence de ma grand-mère et de ses ancêtres dans cette ville.

Ma grand-mère est née le 24 mai 1890 à Commons of Milltown, dans la paroisse de Dingle. Sa famille louait un petit terrain pour l’élevage de porcs et de vaches laitières. Onze personnes vivaient dans une maison composée de trois pièces, notamment ses frères, ses sœurs, ses parents et ses grands-parents.

Durant la plus grande partie du siècle avant la naissance de ma grand-mère, la vie en Irlande exigeait une endurance que je peux à peine imaginer. Je ne connais pas la situation de mes ancêtres immédiatement après la famine liée à la pomme de terre, à l’exception du fait que les grands-parents de ma grand-mère y ont survécu et n’ont pas émigré. Ils ont ensuite eu trois enfants, dont mon arrière-grand-père, né en 1860. Je peux imaginer que la vie à Dingle en 1860 était très dure, en particulier pour quiconque vivait à l’ouest de Dingle, où se trouvait Commons of Milltown.

Source: Brosnan, Charles & Collins, Grainne, "Famine in an Irish town – how Dingle survived the Great Hunger", Irish Central, January 19, 2018.
https://www.irishcentral.com/roots/history/famine-dingle-survived-irish-holocaust

Pendant la famine liée à la pomme de terre, Dingle a été décrite comme un « asile monstrueux pour indigents » en raison de la vie qu’on y menait et de la construction en 1851 d’un asile des pauvres destiné à héberger des résidants de la ville qui n’auraient pas pu survivre autrement. À cette époque, 4 848 résidants de Dingle ont vécu dans cet asile des pauvres et son bâtiment annexe, soit 1 résidant sur 7. Les conditions de vie y étaient celles prévues dans le Poor Law Act de 1838, selon lequel les pensionnaires devaient être « moins bien nourris, vêtus et hébergés que les ouvriers indépendants du district ».

En 1889, soit un an avant la naissance de ma grand-mère, les conditions n’avaient pas beaucoup changé à l’asile des pauvres. Elles ont été décrites en ces termes :

Quatre sœurs du St John’s Convent of Mercy, situé à Tralee – sœur M. Elizabeth, sœur Baptist, sœur Ursula et sœur Colman – sont arrivées à Dingle pour travailler dans la partie de l’asile des pauvres de Dingle servant d’hôpital. À cette époque, les patients « dormaient sur des matelas en paille placés sur des planches, la literie était souillée, et les préposés se distinguaient par leur saleté et leur négligence ». Les allées au rez-de-chaussée se caractérisaient par leur plancher uniquement en terre. À l’étage supérieur se dressaient des plateformes de 18 pouces de hauteur. Des casseroles noircies par le feu constituaient les seuls ustensiles disponibles, et il n’y avait ni couteaux ni fourchettes – chaque personne conservait sa casserole, sa tasse et sa cuillère à elle, et tout était sale. Avec l’arrivée des sœurs, les patients ont désormais eu le droit de porter leurs propres vêtements, et des châlits et des matelas ont été commandés puisque les « gardes n’en avaient pas compris pas la nécessité ».i

Même si ma grand-mère ne vivait pas dans des conditions aussi désespérantes que celles de l’asile des pauvres, il ne fait aucun doute pour moi qu’elle était loin de jouir d’une existence confortable. Mon père m’a dit, un soir, que même l’accomplissement de choses aussi simples que ses tâches ménagères pouvait la terrifier. En au moins une occasion, les Black and Tans, une force constabulaire irlandaise, lui ont tiré dessus lors d’une joute sportive alors qu’elle s’affairait sur la propriété familiale. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que ma grand-mère ait décidé de quitter les lieux pour l’Amérique du Nord en 1921. Elle a vécu aux États-Unis avant de prendre finalement le chemin du Canada en 1924.

J’ai emmené mes enfants à Dingle entre autres pour qu’ils puissent découvrir une partie de leurs racines et comprennent mieux à quel point les choix courageux faits par leur grand-mère il y a si longtemps ont contribué énormément à notre situation aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que leur gratitude était moins profonde que celle que j’ai éprouvée durant notre séjour à Dingle. Cependant, je crois aussi que ce périple a jeté les fondements d’une meilleure compréhension, comme lorsque j’ai visité les lieux en 1981. Selon moi, la force de composer avec l’adversité et l’assurance de savoir, face aux défis de la vie, que les choses s’amélioreront avec le temps et des efforts forment le trait de caractère le plus important que je peux aider mes enfants à développer. C’est ce type de confiance qui a donné à ma grand-mère le courage nécessaire pour chercher une vie meilleure à l’extérieur de l’Irlande.

Transformer les difficultés croissantes en gains croissants

À mon avis, l’avantage dont nous jouissons comme investisseurs à EdgePoint tient en très grande partie à notre capacité à faire preuve du même genre de patience et d’esprit de réflexion pour les placements que nous effectuons pour vous. Le processus de placement que j’applique trouve son origine il y a une génération, ayant été conçu et développé par Bob Krembil, l’un des fondateurs d’EdgePoint. Ce processus me guide dans la détermination, chez une entreprise, des qualités qui en font un bon investissement. Je crois que l’application du même processus de manière réfléchie et avec patience produira de bons résultats de placement au cours d’une période raisonnablement longue.

Cependant, la vie d’une entreprise ne diffère en rien du cheminement d’un être humain. Elle implique la nécessité de croître et de surmonter l’adversité. Avec un peu de chance, l’entreprise parviendra finalement au stade de la maturité et de la stabilité. Les entreprises obtenant des résultats tels qu’ils font augmenter le cours de l’action chaque jour sont rares, tout comme les enfants, les adolescents ou les jeunes adultes qui progressent d’une manière parfaite et admirable vers la réalisation de ce qu’ils désirent dans la vie comme adultes. Le confort et l’inconfort sont tous les deux nécessaires pour acquérir l’expérience permettant de composer avec les changements survenant au cours d’une existence. À mon sens, la vie serait bien ennuyeuse sans ces diverses expériences.

La société danoise Genmab A/S constitue un ajout récent au portefeuille. Il s’agit d’une entreprise que l’on pourrait comparer, d’après moi, à un jeune adulte ayant affronté de nombreux défis et qui chemine vers une plus grande maturité. Une mise en contexte relatant certains aspects du parcours de cette société est importante, car elle mettra en lumière les raisons pour lesquelles, à mon avis, elle peut se développer dans le futur.

Genmab est une entreprise issue de la scission de la société de biotechnologie américaine Medarex. Medarex a développé une technologie rendant les anticorps plus efficaces pour le traitement du cancer et des maladies auto-immunes. Si vous avez entendu parler de la révolution des produits issus de l’immuno-oncologie pour traiter le cancer, Medarex est la première entreprise a en avoir développés. Les deux premiers produits de cette catégorie conçus par Medarex sont Yervoy et Opdivo. Medarex a également mis au point Simponi, un médicament contre l’arthrite, dans le cadre d’un partenariat avec Johnson & Johnson. En 2009, Medarex a été achetée par Bristol Myers Squibb pour 2,4 milliards de dollars. Selon les estimations de cette année, les trois médicaments développés par Medarex et vendus à Bristol Myers – Yervoy (1,6 milliard de dollars), Simponi (2,3 de milliards de dollars) et Opdivo (7,6 milliards de dollars) – rapporteront ensemble environ 11,4 milliards de dollars. Selon les évaluations actuelles de sociétés de biotechnologies semblables et le degré de participation conservé dans les médicaments, Medarex vaudrait probablement plus de 50 milliards de dollars aujourd’hui plutôt que 2,4 milliards de dollars, prix auquel elle été vendue il y a 10 ans. Dans son cas, faire preuve de patience sur la voie menant à la maturité aurait été assurément l’acte vertueux à accomplir.

Née de la scission de Medarex en 1999, Genmab célébrera son 20e anniversaire cette année. La croissance de Genmab, qui est passée du stade de nouveau-né à celui de jeune adulte, a été tout sauf harmonieuse. Hormis l’erreur d’avoir vendu Medarex trop vite, Donald Drakeman, l’un des fondateurs et chef de la direction de Medarex, a commis une autre bourde monumentale en mettant aux commandes de Genmab son épouse Lisa Drakeman, qui avait une expérience limitée des affaires. Au poste de chef de la direction de Genmab, Mme Drakeman a commis une série d’erreurs qui ont eu pour résultat des flux de trésorerie disponibles négatifs atteignant 2 milliards de couronnes danoises, une instabilité financière grave et une progression insuffisante des produits en attente de développement au moment où elle a pris sa retraite, en 2010.

Après le départ à la retraite de Mme. Drakeman, Jan van de Winkel lui a succédé comme chef de la direction et exerce toujours ce rôle aujourd’hui. M. van de Winkel a commencé sa carrière en qualité de directeur scientifique de Medarex pour ensuite prendre la tête des activités de recherche et de développement de Genmab en 2008. Comme chef de la direction, il s’est attaqué à la gestion du comportement financier de l’adolescent au cours volatil en réduisant presque de moitié les coûts en recherche et développement, en renégociant les contrats de développement avec son partenaire GlaxoSmithKline et en octroyant sous licence à Johnson & Johnson les droits sur Darzalex, désormais son produit phare contre le myélome multiple. Nombre de ces décisions ont été difficiles à prendre, et sans aucun doute très douloureuses pour un scientifique qui a dirigé le secteur de la recherche et du développement, où les coupures les plus importantes ont été faites. Et ce, alors qu’il venait tout juste de devenir chef de la direction.

Depuis que M. van de Winkel a pris la relève, la société a perdu de l’argent uniquement au cours de deux exercices, soit en 2011 et en 2012. Par ailleurs, elle dispose maintenant de 6 milliards de couronnes danoises en argent comptant à la banque, ce qui lui assure une stabilité financière importante. Comme Genmab a conservé les droits sur la technologie de Medarex exploitant les anticorps, M. van de Winkel a entrepris de faire croître la société en se focalisant sur l’utilisation de cette technologie pour lancer le développement de nombreux produits, 28 au total, pour le traitement du cancer avec les anticorps. Genmab bénéficie maintenant d’une grande solidité financière et mène des activités de développement de nombreux produits qui, nous le croyons, permettront à la société de croître et de prospérer au cours des prochaines années.

Alors que M. van de Winkel surveillera, je n’en doute pas, la gestion financière de Genmab en gardant à l’esprit le manque de discipline financière de la direction précédente, il a aussi pleinement conscience, selon moi, que la patience et une meilleure gestion auraient abouti à des résultats financiers beaucoup plus solides pour Medarex. Malgré l’importance toujours grande des objectifs financiers d’un placement, j’estime encore plus importante la croyance de M. van de Winkel selon laquelle les efforts de Genmab contribueront à terme à maîtriser le cancer. La société a connu un bon départ avec Darzalex, produit qu’elle a développé contre le myélome multiple et qui a mené à une augmentation importante du taux de survie des personnes souffrant de cette maladie. D’après moi, Genmab se révélera un bon investissement pour nous dans les prochaines années. En tout cas, l’habileté, le bon sens et l’optimisme dont fait preuve M. van de Winkel après avoir affronté un certain nombre de difficultés majeures durant ses 20 ans passés à Genmab me rassurent.

Tout projet, qu’il s’agisse de quitter l’Irlande ou de construire une entreprise, est assorti d’occasions et de craintes. Mais peu importe les occasions ou les craintes imaginées au début, elles évoluent rarement comme on l’aurait cru. L’acceptation et la compréhension que les mêmes difficultés existent également dans le domaine des placements contribueront grandement à vous libérer des inquiétudes causées par les petits moments marqués par la crainte plutôt que les possibilités. Comme toujours, je suis honoré de m’occuper de votre épargne et le ferai avec vigilance. Je me réjouis d’avance de ce projet – que je m’engage d’ailleurs à rendre moins ardu que le périple courageux de ma grand-mère en Amérique du Nord depuis Dingle.


iSource: Brosnan, Charles & Collins, Grainne, « Famine in an Irish town – how Dingle survived the Great Hunger », Irish Central, 19 janvier 2018. https://www.irishcentral.com/roots/history/famine-dingle-survived-irish-holocaust