Pêcher là où se trouvent les poissons – 2e trimestre 2020
À mon humble avis, si vous écrivez un commentaire et que vous n'avez pas fait l'effort de plagier une idée initialement introduite par Charlie Munger, vous n'essayez tout simplement pas. Après tout, lui et son partenaire Warren Buffett sont des légendes dans le monde de l'investissement. Dans cette optique, nous commencerons ce commentaire en citant une petite phrase que Charlie a prononcée dans le passé, mais jamais avec autant d'éloquence que lors de la réunion du Daily Journey de cette année, où il a décrit comment les sources de rendement excédentaire des investissements peuvent changer au fil du temps :
Mon ami pêcheur m’a déjà dit : « J'utilise une règle simple pour connaître du succès : je pêche là où sont les poissons. » Vous voulez pêcher là où sont les bonnes affaires. C'est aussi simple que ça. Si la pêche est vraiment mauvaise là où vous êtes, vous devriez probablement chercher un autre endroit pour pêcheri.
Dans le domaine des titres à revenu fixe, nous allons tous à la pêche au revenu. Cependant, lorsque les taux d'intérêt sans risque sont près de zéro, le poisson se fait rare. Donc, pour générer des revenus, nous devons prendre un certain niveau de risque ou nous allons tous rentrer affamés.
Si l'on simplifie l'univers de l’investissement, on peut regrouper les risques typiques des titres à revenu fixe dans quatre catégories différentes. Nous pouvons également affirmer avec un certain degré de certitude que, quel que soit le fonds équilibré ou le fonds obligataire que vous possédez, vous prenez au moins un (et dans la plupart des cas plusieurs) de ces risques :
Risque de complexité.
Risque d’effet de levier.
Risque de duration.
Risque de crédit.
Le risque de complexité peut généralement se résumer à posséder un tas de choses que vous ne comprenez pas. Chaque fois que votre fonds d'obligations est chargé de titres adossés à des actifs, de titres adossés à des hypothèques résidentielles ou commerciales ou de titres de créance garantis, il est fort probable que très peu d'investisseurs aient la moindre idée de la solvabilité des emprunteurs ou de la manière dont le produit des milliers de prêts et d'hypothèques individuels qui sont mis en commun dans ces véhicules sera utilisé. Nous n'achetons pas des choses que nous ne comprenons pas.
Le risque d'effet de levier consiste à emprunter de l'argent pour améliorer les rendements. Cela fonctionne jusqu'à ce que ce ne soit plus le cas, et lorsque le véhicule d'investissement qui a utilisé l'effet de levier cessera de fonctionner, il devra vendre des positions existantes à des niveaux très bas ou diluer les investisseurs existants en levant des fonds à mauvais prix, sinon il tombera à zéro. La disparition de la liquidité dans les jours les plus sombres de mars 2020 a vu de nombreux fonds à revenu fixe à effet de levier au bord de l'effondrement. Nous ne mettrons jamais en danger les portefeuilles en utilisant des fonds empruntés.
Le risque de duration représente le risque le plus répandu dans les portefeuilles équilibrés. En fait, la quasi-totalité des grands portefeuilles équilibrés qui ont enregistré de solides rendements depuis le début de l'année sont truffés de ce risque. Le risque de duration consiste à acheter des obligations qui n'arrivent pas à échéance avant de nombreuses années et dont le prix est ultra-sensible aux variations des taux d'intérêt. La baisse spectaculaire des taux d'intérêt au cours des 30 dernières années a été très profitable aux portefeuilles qui détenaient ces titres. Toutefois, une caractéristique malheureuse de ces fonds est qu'ils fixent les taux d'intérêt en vigueur pendant toute la duration du portefeuille. Aujourd'hui, les portefeuilles de longue duration sont un pari à sens unique pour que les taux d'intérêt les plus bas de l'histoire baissent davantage. Avec des taux d'intérêt aussi bas et des ratios de frais de gestion de fonds équilibrés aussi élevés, il est difficile d'imaginer que les portefeuilles d'obligations de longue duration puissent rapporter un quelconque rendement au cours de la prochaine décennieii. Nous investissons pour gagner de l'argent.
Le risque de crédit constitue le risque de prêter de l'argent aux entreprises. Il s’agit du risque que nous prenons chez EdgePoint. Nous le faisons parce que les obligations d'entreprises – en particulier les obligations à rendement élevé – ont offert des rendements exceptionnels à long terme, et nous pensons que nous pouvons ajouter une valeur significative en choisissant les entreprises auxquelles nous voulons prêter de l'argent. En tant qu'analystes commerciaux, nous savons comment analyser et évaluer une entreprise, et à partir de là, il n’est pas difficile de déterminer quelles entreprises peuvent nous rembourser lorsque nous achetons des obligations de sociétés.
La volatilité donne lieu à des occasions, et ces deux éléments n’ont pas manqué pendant les six premiers mois de l'année. Au sein de nos portefeuilles équilibrés, les deux tiers de notre répartition en titres à revenu fixe restent investis dans des obligations de qualité, et la stabilité de ces émissions a été une source de liquidités, permettant aux portefeuilles de tirer profit des erreurs de tarification sur le marché. Au même moment, nos obligations à rendement élevé ont ajouté une valeur significative au fil du temps, et la volatilité de cette année continue d'offrir de rares occasions. Les marchés des obligations à rendement élevé ont connu une forte reprise au cours des deux derniers mois. Cependant, proclamer que la fenêtre d’opportunité s’est « refermée » est la mauvaise façon d'aborder le marché. Sous la surface, la pêche est encore bonne pour ceux qui sont prêts à regarder là où les autres ne regardent pas.
Taux de rendement à l’échéance | Duration |
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L'histoire de deux marchés
La plupart des partenaires d'EdgePoint connaissent notre méthode d'investissement lors de l'achat d'une action. Lorsque nous achetons une action, nous achetons une entreprise. Bien sûr, nous voulons acheter une entreprise de grande qualité, mais nous voulons aussi avoir un aperçu exclusif – un point de vue sur cette entreprise qui n'est pas partagé par les autres investisseurs. Nous utilisons la même méthode lorsque nous investissons dans des obligations à rendement élevé.
Il est beaucoup plus facile d'obtenir des points de vue exclusifs – ou des perspectives uniques – lorsque moins d’investisseurs suivent une entreprise en particulier. Naturellement, cela signifie que nous essayons de regarder là où personne d'autre ne regarde. Nous nous concentrons par exemple sur les petites émissions d'obligations qui se négocient moins fréquemment et qui ne sont pas suivies par d'autres analystes. Nous ne prêtons pas non plus attention aux notations de crédit. En fait, nous détenons une position importante dans des émissions non notées, soit des obligations qu'aucune agence de notation de crédit n'a examinées ou sur lesquelles elle n'a pas donné son avis. Ces obligations sont généralement mal comprises par le marché. Les obligations que nous achetons sont souvent défavorisées pour une raison qui n'a rien à voir avec les perspectives à long terme de l'entreprise. Enfin, chaque fois que nous investissons dans une obligation, nous nous assurons que le rendement de notre investissement est attrayant par rapport à d'autres occasions.
Au début de l'année, notre méthode nous a amenés à examiner plusieurs secteurs négligés du marché. Le graphique ci-dessous suggère qu'à la fin de 2019, les obligations à rendement élevé notées BB – le niveau le plus élevé du marché des obligations de pacotille – se négociaient au niveau le plus cher de l'histoire par rapport aux obligations de qualité investissement (le graphique de gauche). Au même moment, les obligations notées CCC – la catégorie la moins bien notée – étaient plus attrayantes que jamais par rapport au marché plus large des obligations à rendement élevé (graphique de droite). Nous n’avons pas investi abondamment dans les émissions notées CCC, mais entre la tranche la plus chère et le coin le plus mal aimé, il existait de nombreuses possibilités de déployer des capitaux à des taux attrayants.
Les six premiers mois de 2020 ont révélé ce qui devient rapidement un marché bifurqué; la disparité entre les obligations notées BB et les émissions moins bien notées n'a fait que s'accentuer. Il ne devrait surprendre personne que ces obligations mieux notées aient moins diminué que l’ensemble du marché, les marchés ayant atteint le fond du baril en mars. Une notation de crédit plus élevée implique un risque de crédit à court terme plus faible, et le début d'une récession fait souvent craindre aux investisseurs que l'augmentation des défauts de paiement n'érode les rendements des émissions moins bien notées. L'anomalie a toutefois commencé avec la reprise du marché à partir du creux de la vague le 23 mars. Depuis cette date, les obligations notées BB ont continué à surperformer les titres moins bien notés, malgré le rebondissement des marchés dans le monde entier.
Rendements totaux cumulatifs des indices d'obligations américaines iv à rendement élevé
Du 31 déc. 2019 au 30 juin 2020
Rendement des indices obligataires | Du 31 déc. 2019 au 30 juin 2020 | Du 23 mars 2020 au 30 juin 2020 |
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Affirmer qu'il s'agit d'un événement rare est un euphémisme puisque cela ne s'est jamais produit auparavant.
Comme le montre le graphique ci-dessous, après chaque baisse de 10 % ou plus du marché des titres à rendement élevé, ce sont les obligations notées CCC – le secteur le plus défavorisé du marché des titres à rendement élevé – qui ont mené la reprise. Dans chaque exemple, cette surperformance n'est pas seulement de quelques points de pourcentage; au contraire, en se remettant des baisses précédentes, le niveau le plus bas du marché à rendement élevé a produit des rendements qui étaient souvent des multiples du rendement obtenu par des obligations mieux notées.
Indice ICE BofAML US High Yield | Krach de l'immobilier commercial américain v | Bulle technologique | Crise financière | Dégradation de la dette américaine par S&P | Effondrement des prix du pétrole | Pandémie de COVID-19 |
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En ce qui concerne nos portefeuilles d'actions, nous parlons sans cesse de la recherche de sécurité que nous avons observée sur les marchés boursiers du monde entier. Nous avons décrit l'offre incessante pour les sociétés de croissance évidentes et la sécurité des entreprises qui sont clairement bénéficiaires des ordres de mise à l'abri. Nous avons mis en garde contre ces titres « consensuels » qui se négocient à des prix qui assurent presque des rendements médiocres à long terme, et contre le fait qu'investir dans la « certitude » s'est avéré être un excellent moyen de détruire la richesse dans le passé.
Sur le marché des obligations à rendement élevé, ce phénomène se cache au nez et à la barbe de tous. Alors que nous recherchons des obligations émises par des entreprises peu suivies, avec des modèles d'entreprise mal compris qui n’ont pas la cote des autres investisseurs et qui se négocient à des prix attrayants, le marché cherche autre chose. Aujourd'hui, le marché paie une prime massive pour des obligations de grande taille, liquides, avec une notation de crédit élevée, que tout le monde s'accorde à dire qu'elles devraient être détenues.
Ce que nous recherchons dans une entreprise | Ce que les autres investisseurs recherchent |
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Les rendements des obligations de grande taille, liquides et bien notées depuis le début de l'année ont créé l'illusion que le marché dans son ensemble a retrouvé les sommets atteints avant la récession et qu'il sera plus difficile d'obtenir des rendements attrayants à l'avenir. Mais cette reprise s'est concentrée sur les obligations les plus importantes et les plus liquides. Comme nous l'avons déjà mentionné, nous continuons à observer des occasions importantes dans de nombreux coins du marché.
La disparité du marché et l'attrait relatif des idées de nos portefeuilles sont évidents si l'on compare côte à côte les principaux titres de notre Portefeuille mondial de fonds de revenu et de croissance EdgePoint et les cinq principaux éléments de l'indice de référence. La recherche de sécurité qui a caractérisé tous les marchés a vu les cinq plus grands noms de l'indice offrir un rendement de 3,8 %, tandis que notre collection de ce que nous pourrions appeler de meilleures entreprises offre un rendement de 8,2 %.
5 principaux titres dans le Portefeuille mondial de fonds de revenu et de croissance EdgePoint | Pondération du portefeuille | Cote de l’obligation | Taille de l’émission ($M) | Pire rendement |
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5 principaux titres du iShares US High Yield Bond Index ETFvi top 5 positions | Pondération dans l’indice | Cote de l’obligation | Taille de l’émission ($M) | Pire rendement |
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Trois de ces obligations en tête de l'indice relèvent des secteurs des télécommunications et des soins de santé, et il ne fait aucun doute que leur « immunité » perçue à l'égard de l'incidence de la COVID-19 a exacerbé l'offre pour ces obligations. Mais payer « n'importe quel prix » pour la sécurité crée son propre risque. Le fait de souligner les prix exorbitants payés pour les actions de croissance est souvent contrebalancé par le fait qu'il existe encore un potentiel de croissance des bénéfices qui n'est pas pleinement apprécié. Mais avec les obligations, vos paiements d'intérêts sont fixes pendant toute la durée de vie de l'obligation. Pourtant, les investisseurs réclament à cor et à cri de mettre la main sur ces obligations.
Lorsque nous achetons une obligation, nous partons du principe que nous allons la conserver jusqu'à l'échéance. Autrement dit, nous ne comptons sur personne d'autre que l'entreprise à laquelle nous prêtons pour acheter notre obligation. En investissant de cette manière, nous nous engageons à obtenir le rendement à l'échéance disponible à l'achat, et toute possibilité de vendre nos obligations à un prix plus élevé en cours de route est une évidence. Et bien que nos obligations aient été plus lentes à retrouver leurs sommets d'avant la crise de la COVID-19, gagner 8,2 % grâce à notre collection d'entreprises de grande qualité est bien plus intéressant que de gagner 3,8 % grâce à un tas d'obligations que des investisseurs indiciels estiment avoir besoin de posséder.
Remarques finales
L'investissement sans risque consiste à acheter des obligations d'État à court terme. Aujourd'hui, le rendement des obligations d'État à court terme est suffisamment proche de zéro pour qu'on l'appelle zéro. Pour un investisseur, cela signifie que pour obtenir un quelconque rendement, il va falloir prendre un certain risque. Dans le cadre d'un investissement à revenu fixe, les risques que vous pouvez prendre sont peu nombreux, mais vous voulez pêcher là où se trouvent les poissons. Avec des taux d'intérêt aussi bas qu'ils le sont, les fonds d'obligations à long terme sont en manque de poissons et leur bateau fuit, alors que la pêche en complexité ou avec un effet de levier est comme la pêche à la mouche du piranha. Et si le rebondissement des marchés des obligations d'entreprises depuis le creux de mars laisse penser que l'occasion est derrière nous, ce n'est tout simplement pas le cas. Nous continuons à voir de nombreuses possibilités de rendements excédentaires, et pour ceux qui savent analyser les entreprises, le risque de crédit reste le plus judicieux dans un portefeuille à revenu fixe.
Rendement annualisé total du portefeuille au 30 juin 2020 en $CA.
Portefeuille mondial de fonds de revenu et de croissance EdgePoint, série A
À ce jour : -10,39 %; 1 an : -9,12 %; 3 ans : 0,81 %; 5 ans : 3,56 %; 10 ans : 9,33 %; depuis la création (du 11/17/2008 au 06/30/2020) : 10,46 %
Portefeuille canadien de fonds de revenu et de croissance EdgePoint, série A
À ce jour : -14,14 %; 1 an : -9,52 %; 3 ans : 2,22 %; 5 ans : 1,13 %; 10 ans : 5,59 %; depuis la création (du 11/17/2008 au 06/30/2020) : 8,09 %
ii Morningstar Direct. Le ratio moyen des frais de gestion est de 2,28 % et est basé sur les frais de la série A. Le RFG de la série A est tiré directement des sites Web des fonds. S'il n'est pas divulgué sur les sites Web des fonds, Morningstar a été utilisé. L'univers des fonds analysés comprend uniquement les fonds dont la duration et le rendement à l'échéance sont disponibles, ainsi qu'un actif sous gestion minimum de 2 milliards de dollars dans la catégorie Actions équilibrées mondiales.
iii L'indice ICE BofAML Canada Broad Market reproduit le rendement des titres de créance de qualité émis publiquement sur le marché intérieur canadien. Voir Informations importantes – rendements et définitions pour obtenir plus de détails. iv Les indices utilisés sont : l'indice américain des obligations à haut rendement notées BB (indice Bloomberg Barclays U.S. Corporate High-Yield Ba Rated Bond), l'indice américain des obligations à haut rendement notées B (indice Bloomberg Barclays U.S. Corporate High-Yield B Rated Bond) et l'indice américain des obligations à haut rendement notées CCC (indice Bloomberg Barclays U.S. Corporate High-Yield Caa Rated Bond). Chaque indice Bloomberg suit les rendements des obligations d'entreprises à haut rendement libellées en dollars américains et notées Ba, B ou Caa selon la liste.
vLe krach de l'immobilier commercial américain du début des années 1990 est attribué à la faillite des institutions d'épargne et de crédit de la fin des années 1980 au début des années 1990 en raison de l'inflation de ces biens. Source : Geltner, David, « Commercial Real Estate and the 1990-91 Recession in the United States », Massachusetts Institute of Technology - Department of Urban Studies &Planning, MIT Center for Real Estate, janvier 2013. https://mitcre.mit.edu/wp-content/uploads/2013/10/Commercial_Real_Estate_and_the_1990-91_Recession_in_the_US.pdf.
viLe iShares US High Yield Bond Index ETF, utilisé pour représenter le marché du haut rendement, est un FNB pondéré en fonction de la capitalisation boursière qui offre une exposition à une large gamme d'obligations d'entreprises américaines à rendement élevé et de qualité non investissement.